Jardins miniatures


Les parcs, les jardins, les aménagements que nous projetons et réalisons sont immédiatement envahis par le public. Il y a toujours une grande émotion à regarder les gens occuper les lieux pour lesquels nous nous sommes tant préoccupés. En même temps, cette fréquentation nous éloigne du « jardin hors du monde ».

Les parcs, les jardins, les aménagements que nous projetons et réalisons sont immédiatement envahis par le public. Il y a toujours une grande émotion à regarder les gens occuper les lieux pour lesquels nous nous sommes tant préoccupés. En même temps cette fréquentation nous éloigne du « jardin hors du monde ».

Traditionnellement un jardin, ou un parc, est conçu comme un moment extraordinaire, presque en dehors du temps (si on considère que le temps est ce qui gère la succession effrénée des événements de la vie quotidienne), comme un lieu à l’écart du mouvement de la société, un lieu écarté et protégé de la ville. « Malgré le voisinage du commun et du populaire, la clameur n’est plus, aussitôt la porte close », écrivait Ji Cheng*), en rajoutant : « une retraite au sein du tumulte de la ville vaut davantage qu’une demeure dans les branchages ». Les jardins japonais de Kyoto nous le confirment.

J’aimerais bien retrouver dans quelques projets la retraite du jardin protégé et me rapprocher, en cela, des jardins chinois ou japonais.
Ji Cheng, dans son traité du Jardin (Yangye), en 1634, évoque la nécessité d’un terrain accidenté avec « des hauteurs et des dépressions, des méandres et des profondeurs, des escarpements et des surplombs, de vastes étendues planes ». Mais comment trouver un tel espace protégé aujourd’hui ?!

Pour maintenant, je me contente des murs de pierres que nous réalisons dans différents parcs et jardins. Un mur de pierres, c’est aussi un jardin en miniature.

Assis ainsi le nez devant un mur, le monde autour disparaît, un autre monde s’ouvre. Les mousses (ah, les merveilleuses mousses des jardins japonais !), les fougères, les petites vivaces qui surgissent, les différentes plantules qui grimpent sur les rochers, sur les falaises vertigineuses des pierres construisent un paysage, des paysages multiples. Dès qu’il pleut, les cascades se forment, des torrents se frayent un chemin jusqu’à des lacs qui s’installent dans les trous. Les faces au nord diffèrent bien de celles au sud, les côtés à l’ombre de ceux au soleil. Autant de pierres, autant de falaises, de montagnes escarpées ; entre les pierres : des grottes, des plages, des prairies, des forêts s’installent. Ainsi en allant vers des mini-jardins au creux des pierres des murs, je restitue des paysages immenses dignes des peintures chinoises et des parcs du XIXème siècle.

Il reste qu’il va falloir faire pousser toutes ces mousses et autres plantes « naturelles » dans la terre que nous avons mise dans les interstices des pierres des murs. Des arbres (les mêmes que ceux de la forêts avoisinante), déjà grands, seront plantés de manière dense pour apporter de l’ombre aux murs. Mais ce que je ne sais pas encore très bien faire c’est comment favoriser l’implantation de mousses. Une sorte de mixture mêlant mousse et yogourt m’a été évoquée....

A Sedan, toutes les mousses, sedums et fougères que nous avions insérées entre les pierres semblaient avoir grillé. Trois ans après, elles réapparaissent complétées par du lichen.

En fait, le plus difficile pour un paysagiste, c’est de réussir à faire pousser ce qui pousse normalement tout seul !

*) Ji Cheng, 1582-1642, paysagiste chinois, auteur du Yuanye, manuel de création de jardin chinois classique. Voir le livre et la traduction de Che Bing Chiu, Editions de l’Imprimeur.

Les jardins miniatures, ce sont aussi ceux que se fabriquent les habitants d’un village au pas de leur porte, ou même d’une ville comme au Japon ou en Chine, ou sur un balcon comme souvent dans toute la France.

Tous ces petits jardins, en pots, ou même en bassines, en disent long du "désir de jardin". En attestent encore les jardins miniatures japonais ou chinois qui reconstituent des paysages avec un bonsaï, quelques pierres, un petit pont, une cabane, un filet d’eau, ou même une reconstitution d’un jardin sec zen. Ils sont aussi la preuve de notre capacité à nous transposer dans un tout petit monde - comme un zoom arrière - que nous nous inventons à travers quelques plantules. Le jardin miniature confirme bien la complicité en général des jardins dans le désir d’éloignement et de solitude.
Les jardins d’eau, miniatures, sont plus rares. Celui-ci est localisé dans une ruelle de pauvres masures à Stanley au sud de l’île de Hong Kong.


D’autres jardins miniatures sont plus éphémères comme ceux qui poussent au creux des pavés. Certains sont même volontairement temporaires comme les Jardins d’Adonis dans la Grèce antique. Les "Jardins d’Adonis" et les "Fêtes des Adonies" apparaissaient au solstice d’été quand Sirius et le soleil sont au plus haut dans le ciel. "Les "Jardins d’Adonis" étaient des cultures sans fruits, des jardins stériles, transportés sur les toits, où l’éclat du soleil caniculaire les fait pousser jusqu’au vert en quelques jours et, sans transition, les dessèche sur pied. Ce jardinage frivole qui consiste à faire rôtir par Sirius certaines espèces horticoles et céréalières va de pair avec une fête où le dévergondage des femmes s’autorise des relations d’amant à maîtresse qui s’établissent entre Adonis et Aphrodite." Marcel Detienne, "Les Jardins d’Adonis", Bibliothèque des Histoires, 2d. NRF, 1972.