Le corps d’Auxerre




Auxerre s’est édifié sur un piton rocheux sur lequel l’Yonne bute et qu’elle contourne. Au XIXème la ville s’étend concentriquement puis au XXème s’amorce l’urbanisation de la rive droite de l’Yonne où la gare a été implantée.


Les premières implantations gallo-romaines se situaient dans la zone d’expansion de crue ; montée des marécages, la ville n’a eu de cesse, depuis le Moyen-âge, de se cristalliser dans la pente. On pourrait ainsi se contenter d’une image historique d’une ville construisant son piton si d’autres découvertes inattendues ne nous avaient informés d’une autre manière de s’installer sur un site.

Amenés à projeter une extension urbaine sur un site en bordure ouest de la ville, le regard porté sur le vide qui l’occupait nous transmis une histoire très différente que celle qui voulait que nous nous trouvions dans un secteur rural. A bien regarder le doux talweg qui orientait les terrains et les chênaies en lambeaux épars où survivaient de superbes chênes bien droits, il me devint évident qu’une rivière que personne n’avait gardée en mémoire, avait existé et joué une rôle important dans l’adoucissement des pentes et dans une occupation des espaces qui ne pouvaient être ni les jardins d’aujourd’hui ni les vignes qu’on disait y avoir existé. Il s’avéra qu’une source existait en amont qui avait été captée par un monastère et qui alimenta la ville d’Auxerre à partir du XVIème jusqu’à ce que ses canalisations fussent démolies dans les années 70.

L’eau s’écoula donc entre les couches d’argile, argile de décomposition de ce terrain calcaire. Cela expliquait pourquoi on trouvait l’eau sous 50 cm du sol tant en amont qu’en aval de la colline - la rivière cherchait son lit. Il fallu des fouilles archéologiques et la découverte d’un fossé néolithique pour confirmer mon intuition de l’existence de cette rivière qui n’avait laissé aucune trace dans la mémoire des auxerrois. Les fouilles révélèrent également qu’une intense activité sidérurgique avait eu lieu jusqu’à l’époque gallo-romaine et que ce site avait été occupé par de nombreuses constructions jusqu’au XVIIème. Cette activité sidérurgique, nécessitant eau et bois, expliquait les restes de chênaies sur les flancs ouest du site.
Réexaminant les pentes qui entourent la ville au sud, il était possible de suivre à travers les inclinaisons des rues et des limites de parcelles, ce qui avait été le parcours de ce ruisseau, disparu depuis des siècles.

Il rejoignait un ensemble qui collectait plusieurs rus pour aboutir au sud du piton rocheux d’Auxerre, dans cette plaine qu’ils rendaient marécageuse avec les crues de l’Yonne et où on cultiva, à l’époque gallo-romaine, des jardins vraisemblablement enrichis chaque année par les limons des inondations. L’histoire d’Auxerre s’agrandissait d’une vision plus large que la partie moyenâgeuse pour intégrer les parcours de l’eau et les pentes. L’urbanisation a nié ces bassins versants ou simplement les oublie. Les rus ont été busés, les zones d’expansion de crue ont été construits... l’eau se rappelle à l’homme dès que les gros orages séjournent trop longtemps. Refoulée, la réalité du territoire et les éléments naturels ne se rappellent plus à nous malheureusement que par les risques.

C’est l’observation du vide qui habitait ce talweg qui permit de redécouvrir ce corps premier des implantations humaines. Ce vide disait plus que ce qu’on en disait, il préservait une histoire ancienne des premières implantations humaines, du jeu de l’eau et des plantations. C’est parce que nous avons respecté ce vide qu’il nous a raconté son histoire. C’est avec ce vide, dévalant le talweg, chargé des énergies cachées des eaux souterraines, que le nouveau quartier a été conçu et qu’une nouvelle histoire a pu commencer autour du parcours restitué de l’eau. C’est le vide, ré-installé au centre du nouveau quartier, qui a permis l’émergence d’une grande prairie, de chênaies, de jardins, d’un ruisseau et d’un grand étang. C’est ce vide qui a dessiné les secteurs constructibles. C’est ce vide qui aujourd’hui s’emplit de gens, d’une végétation variée et d’une faune très diversifiée.