Le corps de Cherbourg-en-Cotentin


La ville de Cherbourg-en-Cotentin révèle bien cette prégnance d’une image initiale du corps, du fonctionnement organique entre les hommes venus s’installer et les éléments naturels : roches, mer, vent.

C’est ainsi que même si les murailles ont totalement disparues, il demeure toujours dans Cherbourg-en-Cotentin quelque chose qui dit cette relation forte entre la mer et l’homme à travers les quais, à travers leur minéralité et la puissance des dallages de granit.

Cherbourg-en-Cotentin est une ville d’histoire, une histoire ancrée sur la mer, le vent, les rochers, les plateaux. Véritable rocher par ses murailles face à la mer, si on en croit une image du XVème, Cherbourg-en-Cotentin gagnera progressivement sur celle-ci jusqu’à l’incorporer. Cet échange permanent avec la mer s’est traduit par la construction de la rade, véritable petite mer intérieure, par le creusement de bassins ou encore en s’étendant sur les grèves. En creux ou en plein, ces relations ont toujours été fortes d’échanges et de frottements. Avec le bassin du Commerce, Cherbourg-en-Cotentin a tiré la mer à l’intérieur d’elle-même jusqu’à buter sur les pentes de l’Amont Quentin.

La ville de Cherbourg-en-Cotentin est prise entre la mer et l’eau provenant des plateaux. En 1686, les deux rivières, la Divette et le Trottebec, formaient une lagune sablonneuse jusqu’au Roule, servant de havre aux bateaux quand Vauban décida de renforcer les fortifications de la ville et d’en faire un port de guerre. Les travaux furent avortés et Cherbourg-en-Cotentin connut dès lors une alternance de travaux de défense, de démolitions et de dévastations successives.

A partir de 1782, la construction de la digue de la rade projeta dans la mer, jusqu’en 1822, des blocs venant des carrières et des falaises environnantes. Puis l’avant-port et les bassins sont construits jusqu’aux années ‘30. Avec le XIXème et l’attention portée aux espaces urbains, les rues et les places de Cherbourg-en-Cotentin se paveront, puis la seconde moitié du XXème s’emploiera à les dépaver....

C’est la confrontation d’une falaise morte largement entaillée et d’une baie, cette organisation en amphithéâtre, qui donne au site de Cherbourg-en-Cotentin toute sa force paysagère. Ce travail de la roche et de la mer, de l’ancrage de la ville à la mer, mais aussi avec la terre des plateaux, est une vieille histoire d’échanges qui, malgré les atermoiements et les ajournements, ont construit la ville.

Le site exceptionnel de Cherbourg-en-Cotentin, quand on arrive des plateaux dans la descente vers la mer à travers le défilé de la Fauconnière, entre deux dômes, la Montagne du Roule et l’Amont Quentin, quand s’ouvre subitement l’horizon sur les bassins, puis sur la baie… ce passage très particulier, quasi-érotique, de la terre à la mer ne peut pas laisser indifférent. Cette confrontation des « montagnes » et de la mer construit une expérience organique au site. Il reste en mémoire dans la ville de Cherbourg-Octeville une perception des temps forts et des temps faibles de l’intensité des contacts charnels entre nature, montagne, vent et mer, et l’homme qui s’installe. Il reste en mémoire l’empreinte des variations rythmées de l’intensité émotionnelle que provoquent les éléments géographiques avec et contre lesquels les hommes ont édifié la ville. La ville de Cherbourg-en-Cotentin est faite de roches et de vent. La rencontre entre mer et terre est une rencontre puissante de forces contraires.
Pour compléter le tableau, le ciel joue un rôle important à Cherbourg-en-Cotentin où il existe une lumière particulière quand, sous un ciel massif de nuages, d’un bleu outremer foncé, presque noir, électrifie soudainement le moindre objet blanc : mâts, feuilles mortes des arbres, ailes des voiliers ployant sous les vents ou des goélands sans cesse tournoyant sur la ville.

A Cherbourg-en-Cotentin, partout la pierre raconte un savoir-faire tiré du sol : la finesse et la justesse des appareillages des massifs de granit sur les quais et dans les forts face à la mer ; la délicatesse des pavés de grès de multiples couleurs ; les façades en « pierre bleue », ce schiste moiré des nuances de la mer qui servit longtemps en lauses pour les toitures et que l’on retrouve en façade et en dallage ; les murs et les murets, en grès ou schistes, qui dessinent l’espace public ; et même les larges bordures de trottoirs en granit... construisent une image de la ville de Cherbourg-en-Cotentin à la fois solide, simple, raffinée et ancrée dans son territoire.
Réussir à ajointer à sec des massifs de granit comme ceux qui construisent les quais, pesant chacun souvent plusieurs tonnes, suppose un travail sans défaut dès la carrière, une mise en œuvre parfaite et donc une conception sans faille. La forme très particulière et l’arrangement subtil des emmarchements des escaliers sur les quais de l’avant-port ou du pont-tournant en disent long sur l’étonnante finesse du travail de ces masses et l’intelligence de l’agencement qui utilise le poids de chacune pour stabiliser l’ensemble.

On retrouve la même simplicité, la même sobriété et la même recherche d’efficacité dans les façades des immeubles de Cherbourg-en-Cotentin où peu d’éléments définissent l’architecture : encadrements en pierre des baies et des portes, les corniches et les cheminées en pignon. Ces encadrements en pierre soulignent les ouvertures, dessinent avec force l’équilibre serein des façades sobres et dignes de la ville face aux bassins ou le long des rues, des ruelles et des places.

Les agencements des dalles de granit sur les quais, dans les forts et les façades d’immeubles révèlent la « nature » de la ville : puissance et agencement, efficacité et simplicité. En falaises, en massifs ou en murets, la roche est là, c’est elle qui arrime la terre, les plateaux, face à la mer et au vent. Sur les pentes de l’Amont Quentin, on la retrouve en murets de grès, ou de schiste, épousant les pentes herbeuses comme des festons sur un velours vert.

Dans ses quais, dans ses façades, sur ses collines, la ville est faite de ces roches qui l’arriment dans le vent.

C’est dans ce contexte très particulier d’une liaison presque organique que nous installons le nouveau quartier de l’Amont Quentin après la démolition des barres des années ’70 qui rayaient la pente. Le schéma général qui guide les implantations nouvelles est basé sur cet échange terre/mer, sur le vent, sur ce vide qui passe et qui unit à la fois le miroir des bassins et de la rade, les pentes moutonnées de landes, les affleurements des strates de grès, les hêtres s’insinuant entre les roches, les tapis herbeux toujours verts.

Des zones non-constructibles, définies par ces relations entre la mer et la terre, découpent le site, garantissant des vues permanentes vers le centre ancien, vers la rade, vers le lointain. Ce sont ces zones de vide qui décident du plan masse. Les masses des bâtiments ne s’imposent plus au vide, elles s’y conforment et, jouant le jeu, s’inscrivent dans cette continuité qui constitue un nouveau paysage libre et mouvant.

Ce vide s’étend et s’étire au sud vers les plateaux à la rencontre du Parc de la Fauconnière et du Jardin du Docteur Favier qui occupent les flancs escarpés à l’ouest ; au nord, il dévale les pentes vers le bassin du Commerce, juste tiré au pied de la colline puis retrouve les Jardins de la Divette qui accompagnent la glissade jusqu’aux quais de l’avant-port. Comme le vol d’un goéland, le glissement continu dans le paysage s’effectue dans cet immense vide qui accueille et anime ce foisonnement de vies.

Dans les nouveaux aménagements que nous mettons en œuvre sur la colline de l’Amont Quentin et dans les Jardins de la Divette, la pierre offre son assise au vide, sous forme de bancs, d’enrochements, de murets, d’emmarchements, de bordures lourdes, etc... pour qu’un instant il se pose.

Le nouveau paysage urbain qui se dessine, parce qu’il est fondé sur le vide constitue un continuum dans la ville rassemblant et fusionnant toutes les parties précédemment éparses.