Plaine de France

L’eau, élément structurant de la trame urbaine,
Enjeu du renouvellement et de la valorisation du patrimoine urbain





Maîtrise d’Ouvrage :

Etablissement Public Plaine de France

Etude urbaine :

2004-2005

Equipe de maîtrise d’œuvre :

Serge Renaudie, mandataire
COMPOSANTE URBAINE, Christian Piel

Le territoire de Plaine de France s’étend de la lisière de Paris, sur deux département, la Seine Saint Denis et le Val d’Oise, avec des tissus urbains denses, jusqu’aux espaces agricoles en limite de l’aéroport. Désarticulé autour de grands axes de circulation, il présente des paysages globalement contusionnés et d’une grande diversité.

C’est dans ce contexte particulier que l’eau, la trame qu’elle imprime sur le territoire, peut constituer un atout plus grand qu’ailleurs, pour redonner une cohérence au territoire, en améliorer le cadre de vie, en dégager une singularité positive.

Entre risques et projets, l’eau dessine une trame urbaine d’espaces appropriés par les habitants qui offre des parcours de déplacements, des secteurs d’usages et des continuités paysagères dans un territoire morcelé.

L’enjeu de cette étude consiste à mesurer si, d’une part, il apparaît effectivement justifié de considérer l’eau comme un facteur de valorisation du territoire, quels qu’en soient les modes, et dans l’affirmative, quels sont les moyens à mettre en oeuvre pour parvenir à cette valorisation

L’eau a eu une influence déterminante dans la constitution des villages et des bourgs de la Plaine de France qui se sont établis très souvent dans les vallons ou en bord de Seine. On peut considérer que l’eau représentait une trame essentielle pour les implantations.

L’urbanisation de la Plaine de France au début du siècle se fera autour des voies de chemin de fer, délaissant les cours d’eau traditionnels et les vallons pour s’étendre sur les plateaux.

Si la proximité de l’eau, sous forme de sources, de rivières ou de fleuves, puis même de canaux, a été un vecteur essentiel des implantations urbaines dans Plaine de France, force est d’admettre que les relations entretenues avec l’eau ont radicalement changé.

L’eau potable a remplacé la fontaine, les moulins ont disparu, l’arrosage des jardins s’est automatisé ; la Seine, et même les canaux créés pour le fret, ne jouent plus aujourd’hui le même rôle économique. L’industrialisation et l’urbanisation ont bouleversé le territoire.

Sous la triple action des rejets d’assainissements, des rejets industriels mais également des engrais apportés par une agriculture toujours plus intensive, les cours d’eau ont été progressivement pollués et souvent dramatiquement, entraînant leur désaffection par la population habitante. Les poissons et le gibier sont partis ailleurs, l’écosystème de la Plaine de France s’est appauvri. Les fossés, les rus, les ruisseaux, les rivières ont été busés, disparaissant sur de longues distances.

Les grandes infrastructures qui quadrillent la Plaine de France ont imposé leurs tracés, coupant les vallons et créant des ruptures conséquentes non seulement dans le paysage et la topographie, mais surtout, dans le maillage des déplacements existants en creux de vallons.

Les réponses techniques ont consisté à créer des bassins de rétention des eaux pluviales. Certains de ces réservoirs sont aériens et occupent de vastes no man’s lands contribuant, après les infrastructures, à défigurer le paysage de la Plaine de France. Dans les zones urbaines les plus denses, les réservoirs sont enterrés, comme d’immenses cathédrales cryptiques.
Depuis quelques années, l’eau s’est rebellée ; elle réapparaît aux consciences comme une nuisance. L’urbanisation et l’augmentation des surfaces imperméables ont provoqué des inondations inattendues en aval.
L’agriculture, elle-même, en s’intensifiant, a augmenté les drainages et accéléré le rejet de l’eau dans les réseaux. L’extension des champs a provoqué une réduction des marécages servant de zones d’expansion en cas de crues, une diminution des berges avec une augmentation des pentes. L’agriculture a contribué également à détourner et à buser les ruisseaux, les rus et les fossés.

Les risques d’inondation influent sur l’urbanisation autant en réduisant les secteurs constructibles qu’en imposant des limites aux rejets dans les réseaux publics.

Un basculement s’est opéré : le caractère moteur, vital et positif de l’eau est devenu négatif et nuisible. Aujourd’hui la trame de l’eau dans l’urbanisation n’existe plus que par défaut ; c’est la trame des risques.
Etant donné l’augmentation des imperméabilisations et des risques d’inondation, nous sommes arrivés à une situation en « crête » :
. d’un côté, il est possible de continuer à buser, à enterrer les rétentions et même à dévier par des busages de grandes dimensions les eaux pluviales vers d’autres rejets que la pente naturelle
. de l’autre côté, une intégration des eaux pluviales aux aménagements pour réaliser un nouveau cadre de vie urbaine et une agriculture moins drainante.

Comme dans toute la France, le territoire de Plaine de France s’est spécialisé créant autant de zones qu’il existe de types d’utilisations des sols : zones d’habitat pavillonnaire ou collectif, zones d’activités économiques, zones commerciales, zones de stockage, zones agricoles, etc. jusqu’aux zones de protection des espaces verts. En fonction des trafics et des grandes polarités (grandes villes, aéroports, centres d’activités ou commerciaux, etc.) les infrastructures se sont également spécialisées en voiries plus ou moins ouvertes aux dessertes locales provoquant parfois de véritables labyrinthes.
Ce zoning induit une organisation fragmentée de la vie urbaine en « plaques » isolées et en liaisons dissociées malgré les nombreuses infrastructures routières.

Les changements du territoire de Plaine de France reposent sur une société française elle-même en pleine mutation grâce à l’utilisation systématisée des ondes, de l’informatique et d’Internet. L’autre côté de la planète devenant très proche et très immédiat, les modes de vie changent considérablement depuis quelques décennies. On pu même craindre, dans nos sociétés occidentales, que l’ailleurs prennent lieu et place de la proximité. Il n’en est rien. Pouvant accéder à l’autre bout du monde, nos concitoyens reviennent sur les sites où ils habitent. L’observation des pratiques habitantes démontrent une évolution vers une plus grande appropriation des sites, vers la nécessité de retrouver une accroche au territoire naturel et géographique. Une demande d’espaces libres, dédiés aux loisirs, de proximité ou plus collectifs émerge depuis une dizaine d’années. Les habitants des villes et des bourgs, des centres-villes, des grands ensembles comme des lotissements revendiquent des espaces accueillant tous types d’activités de plein air, du sport spontané à la déambulation tranquille en passant par les jeux d’enfants et les aires de repos. Les parcs, les squares et les terrains de foot ne suffisent plus. De plus, les habitants de Plaine de France ne se déplacent pas qu’en automobile, la fréquentation des sentiers, quand il en reste, et des pistes cyclables, quand il y en a, le démontre.

Nous sommes passés des néo-ruraux fuyant les villes à la recherche d’une ambiance plus campagnarde aux néo-urbains qui recherchent un cadre agréable à leurs loisirs dans un environnement proche et citadin.

La demande est toujours plus pressante d’incorporer la « nature » à la ville, sous une forme que toutes les catégories de la population peuvent s’approprier. Le phénomène touche autant l’habitat que les nouveaux secteurs d’activités économiques.

Cette intégration de la « nature » à la ville ne doit pas être confondue avec les surfaces agricoles qui ne permettent, surtout dans leurs formes actuelles, quasi industrielles, aucune appropriation par les habitants des villes.

La reconversion spontanée du canal Saint-Denis est un bon exemple de l’appropriation d’un tel espace qui, de Paris à Epinay-sur-Seine, accueille des activités de loisir très différentes, à la fois liées aux quartiers traversés et à l’axe de déplacement nord-sud bien avant qu’il ne commence à être réellement aménagé. Le canal, voie de déplacement purement industriel, a connu une période de délaissement, puis de rejet ; depuis quelques années, ses berges ont été réappropriées par les habitants des quartiers environnants et utilisées comme axe de déplacements piétonnier ou cycliste.
Dans la recherche d’espaces de loisirs et de détente intégrés à la ville, l’eau trouve une nouvelle dimension apportant son caractère apaisant et rafraîchissant tout autant que ses capacités à accueillir des activités comme la pêche ou le canotage. Malgré la disparition de linéaires importants, il reste en Plaine de France quelques berges et quelques étendues d’eau qui permettent de vérifier l’attrait que peu représenter de tels atouts dans le paysage urbain.

Aujourd’hui, après une période de dénigrement de l’eau, nous sommes contraints de remarquer que l’eau n’est pas un élément qui poserait question mais un élément qui est donné, un élément structurant « déjà là », un élément naturel qui apporte une continuité de fait au sein des ruptures multiples, tel un fil d’Ariane dans le labyrinthe de l’urbanisation contemporaine. L’eau continue à affirmer, malgré le poids de plomb de l’urbanisation, sa présence. La trame des risques dessine une trame continue, qui correspond à celle de l’eau qui, quoique nous fassions, comme le soleil se lève à l’est pour se coucher à l’ouest, va du point le plus haut vers le point le plus bas !

La question de l’eau relève donc d’une double considération :
— par les risques et les nuisances qu’elle représente
— par son apport à l’amélioration du cadre de vie urbain.

A cette double situation correspond deux échelles : c’est à grande échelle que l’on se préserve des risques et que l’on agit sur la dépollution ; c’est à l’échelle locale que s’élaborent les projets d’aménagement. Ces deux échelles ont besoin de se rencontrer pour faire évoluer un nouvel ensemble d’interventions cohérentes sur le territoire.

Progressivement la nécessité de lier ces deux échelles gagne les consciences. Le refus de réaliser des solutions de rétention naturelle de l’eau pluviale dans des secteurs fortement urbanisés s’est avéré contre-productif dans la gestion des canalisations enterrées. Le tuyau, malgré son lobby qui ne peut être ignoré, ne remplit plus sa fonction devant l’importance des débits à réguler. Les solutions de rétention à ciel ouvert, intégrées à un paysagement, se révèlent plus performantes à moyen terme techniquement et économiquement.

Les projets et les réalisations concernant la gestion des eaux pluviales ou simplement l’aménagement des cours d’eau, se répartissent de manière ponctuelle sur le territoire. Il s’agit soit du traitement des bassins de rétention, soit de projets plus vastes de requalification urbaine (renouvellement urbain des quartiers d’habitat social) ou de développement urbain tels que les lotissements d’habitat ou d’activités économiques.

Les interventions, quelques soient leur intérêt, restent très parcellaires et juxtaposées dans un ensemble urbain et agricole morcelé par les grandes infrastructures.
L’ensemble des projets et des réalisations qui « pixellisent » la Plaine de France ne constituent pas encore un projet cohérent à l’échelle du territoire et ne dessine pas encore une trame urbaine capable d’influencer de manière durable sur l’évolution de son urbanisation.

Dans le cadre de ce paysage morcelé où les continuités urbaines sont de plus en plus rares, l’eau constitue, grâce aux ruisseaux et aux rivières, l’unique trame concurrente des grandes infrastructures, l’unique organisation cohérente d’un élément qui survit et qui se rappelle à la mémoire. L’eau raconte la géographie et la topographie d’un territoire que les voiries diverses nient.

Si la carte des aménagements ou des projets en cours concernant la présence des cours d’eau, comme le Lac du Thillay, est dressée et qu’y est jointe celle des projets qui devraient aboutir bientôt, il se constitue une première amorce de continuité dans la prise en compte de l’eau dans le réaménagement urbain. Si à cette première trame encore timide, nous adjoignons les secteurs sensibles dont les différents organismes ou les différentes communes ont déjà envisagé la mise en projet, un dessin se profile qui assure un premier enchaînement structurel qui, suivant les cours d’eau, s’inscrivent dans un tracé plus vaste, débordant sur le cadre environnant, influençant son aménagement et sa mutation vers une ville intégrant l’environnement et une pratique plus douce de celle-ci.
Sous la pression, d’un côté, d’une population habitante réclamant une nouvelle attache avec le territoire, et d’un autre côté, de la nécessité de répondre aux dangers des inondations par des solutions techniques respectueuses de l’environnement, émerge progressivement une somme de projets qui esquissent une future cohérence dans la dissociation de l’urbain.

Le territoire dispose d’atouts paysagers forts avec les vallons des cours d’eau et la présence de deux grands parcs départementaux : le parc du Sausset et celui de la Courneuve.

La gestion des eaux s’oriente progressivement vers une intégration des bassins de rétention et vers la découverte et le réaménagement des berges des cours d’eau. Ces derniers dessinent une trame ineffaçable que les promeneurs réinvestissent.

La reconstitution d’une trame dessinée par l’eau dans le tissu urbain, outre ses fonctions urbaines de lien, et ses fonctions paysagères d’agrément, a pour intérêt sa capacité à répondre à la gestion des risques. Cette trame peut être mise en œuvre par l’intermédiaire de la multitude des aménagements projetés sur le territoire d’EPA Plaine de France à quelque échelle que se soit.

Cette cartographie des atouts, des projets en cours et des projets envisagés, réclame un cadre plus large intégrant les secteurs urbains ou agricoles et permettant l’orientation et la prise de décision sur la mutation positive de ces territoires.

C’est dans le Schéma d’Aménagement et de Gestion des Eaux, SAGE, que cette continuité d’intervention autour des cours d’eau et la pixellisation des multiples projets de rétention trouveront le cadre conceptuel, de diagnostic et de suivi nécessaire à une action cohérente à l’échelle des bassins versants.